Conques est blotti, au creux infime,
dans les plis du vieux pays.
Conques est serti dans les terres, enfoncé, incrusté.
Conques se devine, se flaire, se rêve, se désire et
s’invente, pas à pas, pied à pied, mot à mot.
Conques se dresse et s’érige, pierre et verre ; on y
caresse, on y boit, on y apprivoise la lumière, toutes les
lumières, les blondes, les grises, les bleues, les noires,
les roses, et les autres, toutes les autres qui n’auraient
pas de nom parce que, parfois, les mots s’épuisent.
Conques, enfin.
Et ensuite, on part, on s’en va dans le monde, nourri
d’images secrètes, lesté de l’intérieur, élargi ; on part,
pour revenir, ou sans revenir ; on part, on existe, on
avance son étrave, on invente, et les langues se lient,
et les paroles s’épousent, et les mains se tendent,
et les chants montent.
Ensuite.
MARIE-HÉLÈNE LAFON
Un soir je suis allé à Chemins d’Encre, la librairie laïque du village, pour assister à la lecture d’une romancière dont j’ignorais le nom, mais quelque chose avait réveillé ma curiosité. La lecture avait déjà commencé quand j’entrai dans la gallerie-cave au dessous de la librairie.
La voix que j’entendais venait de loin et m’était très familière. Elle avait l’urgence et l’intensité d’un saxofoniste alto que j’étais allé écouter dans le vieux Café Montmartre à Copenhague quand j’étais encore trop jeune pour être admis dans un club de jazz et devais trouver un prétexte pour m’y glisser dedans.
Le coda de la pièce était extraordinaire. Marie-Hélène Lafon n’avait pas besoin de piano, ni de contrebasse ni de batterie. Son rythme venait de la terre. La terre rude, violente et verte nue du Cantal. A cet instant même je compris que j’avais trouvé la personne indiquée pour écrire le prologue français pour Delta. Un prologue qui évoquerait Conques, lieu d’origine de mes polyphonies.
Finalement, Marie-Hélène ne m’a pas écrit un prologue. Elle a fait de Conques un prélude.
P.W.
Marie-Hélène Lafon, née en 1962 à Aurillac, est un écrivain français. Elle est pensionnaire, de la classe de sixième à la terminale, dans un établissement religieux de Saint-Flour. Après des études à la Sorbonne et l’agrégation de grammaire obtenue en 1987, elle enseigne dans la banlieue parisienne et à Paris. Elle rédige son premier texte, une nouvelle, à l’âge e 34 ans. Elle enseigne le français, le latin et le grec et la DP3 au collège St Exupéry.
Marie-Hélène Lafon est l’auteur de romans et de nouvelles, essentiellement ancrés dans le monde paysan du Cantal, dont elle est originaire. Elle donne sa voix à des personnages enfermés dans le silence, qui n’existent que par leurs corps et leurs gestes. Elle est de ces écrivains qui rabotent, polissent leur langue pour atteindre l’épure.
Dernières parutions :
L’Annonce : roman, Éditions Buchet/Chastel, Paris, 2009
Gordana, illustré par Nihâl Martli : nouvelle. Editions du Chemin de Fer, Paris, 2012
Les Pays : roman, Éditions Buchet/Chastel, Paris, 2012
Album, Éditions Buchet/Chastel, Paris, 2012, 112 p.
Traversée, Editions Créaphis, Facim. Paris, 2013
Joseph, Éditions Buchet/Chastel, Paris, 2012